Qu’est-ce que bien-vivre ensemble ?
Cette question sociétale n’est pas récente et appelle des réponses renouvelées à
chaque époque. Pour Aristote, l’exercice des vertus permet d’atteindre la vie bonne dans le
contexte politique de la Cité grecque. A l’époque de l’essor de l’industrie et du commerce,
Adam Smith propose une réponse par le marché pour répartir au mieux les richesses. Au
XIXème siècle, les sociétés mutualistes s’associent à l’Etat Providence pour que, malgré les
risques et les accidents de la vie, tous, y compris les plus vulnérables, puissent accéder au bien
vivre.
Réfléchir aux conditions du bien-vivre ensemble implique de poser la question de l’articulation entre les décisions individuelles et les choix politiques, entre les aspirations de chacun et l’évolution de nos institutions collectives, susceptibles de promouvoir une société où la « vie bonne » soit accessible à tous. S’il est nécessaire de répondre aux besoins individuels pour y parvenir, c’est bien par la recherche de solutions collectives et leur expérimentation concrète à partir de ressources du territoire que l’on permettra de faire progresser le vivre-ensemble.
Aujourd’hui, les aspirations des citoyens en matière de qualité de vie portent toujours davantage sur le sens, la qualité du lien social, l’environnement :
– Le RSA et les réflexions sur le revenu universel montrent que l’accès à une vie de qualité pour les plus modestes n’est pas seulement affaire de niveau de revenus ;
– Même s’agissant des besoins matériels, les attentes sont devenues largement qualitatives : mieux s’alimenter pour rester en bonne santé, pouvoir se déplacer sans polluer et de manière active, trouver du sens et créer des relations de qualité dans ses engagements professionnels ou ses loisirs ;
– Et surtout, l’accomplissement de soi va au-delà de la satisfaction des besoins matériels.
Amartya Sen éclaire bien cette perspective à partir de l’approche des capacités : la qualité de vie ne dépend pas des biens que je possède, mais de ce que je peux choisir d’être et de faire.
Pour répondre à ces attentes nouvelles, les vieilles recettes doivent donc être revues au goût du jour. Chaque citoyen recherche un bien être personnel, mais il cherche aussi des relations avec les autres plus riches de sens. La protection de l’Etat Providence reste nécessaire, mais les finances publiques s’amenuisent. Une nouvelle voie s’ouvre avec l’économie collaborative, mais le profit qu’elle génère est souvent capté par les plateformes et ceux qui les détiennent. En France, une autre économie, dite « sociale et solidaire » ou coopérative, se développe, favorisée par la loi Hamon.
Le collectif SmartCitizen propose un protocole d’action en trois temps qui repose sur différents types d’innovation :
1. Mettre les citoyens en mouvement, pour qu’ils participent à l’amorçage des solutions collectives et qu’ils y adhérent, tout en répondant à leurs besoins afin qu’ils y trouvent un intérêt immédiat. Par le débat citoyen, donnons-leur une place centrale dans le schéma de gouvernance en encourageant le développement de leur pouvoir d’agir pour créer une confiance en eux et entre eux !
2. Accompagner l’émergence de premières solutions pour convaincre les citoyens
qu’ensemble on va plus vite et plus loin. Défendons et partageons le goût de la co-innovation pour en faire un mode de gestion des biens communs plus massif !
3. Enfin, évaluer et promouvoir les entreprises dont l’ambition et le positionnement permet de changer d’échelle et de bénéficier d’un financement solidaire et citoyen. Facilitons les levées de fond auprès des investisseurs solidaires à un moment ou l’Etat Providence fait défaut dans le soutien aux initiatives locales !
Alors que les grandes entreprises ont compris l’intérêt des modes d’innovation plus agiles et plus participatifs, que la finance solidaire est de plus en plus disponible et solide, que les méthodes de design thinking sont rodées, les réussites sont de plus en plus nombreuses et partagées (cf. succès du film « Demain »). C’est ce qui est en train d’émerger à Mirecourt, près d’Epinal, situé dans une zone réputée difficile. En effet, ce bourg rural et périphérique a réussi à devenir un territoire innovant. 1 100 habitants (sur 6 000) s’y sont mobilisés pour monter un café participatif et y débattent régulièrement sur les problématiques du territoire. Certaines solutions commencent à émerger : le projet d’innovation globale mis en œuvre au sein de l’Institut Medico-éducatif du Beau Joly en est un exemple. En associant alimentation, santé et éducation, il permet à des jeunes en échec scolaire de regagner leur pouvoir d’agir et de rejoindre le système éducatif professionnel.
Pour changer d’échelle, cette co-innovation est aujourd’hui favorisée par un dispositif de financement de « nouvelle génération » Territoire d’Innovation de Grande Ambition. 500 millions d’euros sont mis à disposition par la Caisse des dépôts et Consignation dans cet appel à projet, 400 collectivités sont candidates : 2018 peut être l’année d’une grande accélération de cette nouvelle économie du bien-vivre et de la co-innovation dans tous les territoires. Les cœurs de grandes métropoles doivent, certes, jouer un rôle moteur en matière d’innovation citoyenne. Mais, si les habitants des territoires périphériques voyaient à nouveau le train passer sans y monter, cela serait un terrible échec, dont les conséquences politiques sont faciles à deviner.
Pour parvenir à cette co-innovation, nous insistons donc sur la nécessité d’un changement de posture complet de la part :
– Des élus qui sont appelés à devenir des tiers de confiance encourageant les initiatives vertueuses ;
– Des entreprises qui ne sont pas seulement des lieux de profit mais qui doivent assumer leur responsabilité sociale ;
– Des entrepreneurs de territoire, chargés de faire le lien entre les besoins individuels et la mise en commun de solutions collectives. Cette profession émergente est appelée à devenir le pilier de cette nouvelle dynamique collective.
Nous reviendrons lors de prochaines tribunes sur chacune de ces trois formes d’évolution que nous appelons de nos vœux mais nous insistons dès maintenant sur l’aspect le plus complexe : la nécessité d’une rupture organisationnelle qui va au-delà de changements purement techniques. Ce protocole en expérimentation depuis maintenant 5 ans dans les territoires est bien rodé et nous espérons que les réussites qu’il a entrainées encouragera son adoption pour un changement d’esprit à plus grande échelle !
Marc Desforges, Christophe Clergeau, Cécile Ezvan, Frédéric Gilli, Camille Morel
Voici ici la tribune SmartCitizens sous la forme de pdf
Pour en savoir plus :
CLERGEAU Christophe, DESFORGES Marc et GILLI Fréderic (Collectif Smartcitizens), Tribune « Pour un droit à la co-innovation », crois-sens.org, 17/05/2017, https://crois-sens.org/2018/09/17/le-collectif-smartcitizens-pour-un-droit-a-la-co-innovation/ et https://crois-sens.org/wp-content/uploads/2018/09/Tribune-collectif-Smartcitizens-Pour-un-droit-à-la-co-innovation-mai-2017.pdf
CORDOBA Vanessa, DESFORGES Marc et GILLI Fréderic, Territoires et innovation, volume 17, Travaux (Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires), volume 17, La Documentation française, Collection Travaux / DATAR, Paris, 2013, 107 pages, https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb436436720.public
DESFORGES Marc et GILLI Fréderic, « Les boucles locales d’innovation : la démocratie pour reterritorialiser la mondialisation ? », Métropolitiques.eu, 11/06/2012, http://www.metropolitiques.eu/Les-boucles-locales-d-innovation.html
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