David Courpasson
Lors de la deuxième partie du séminaire SmartCitizens, David Courpasson, professeur de sociologie à l’Em Lyon, et Eric Ghiglione, doctorant à l’Em Lyon, nous ont parlé du rôle des nouvelles communautés de travail et des formes de savoirs partagés (type Wikipedia) dans l’innovation sociale.
David Courpasson : son travail de recherche s’intéresse entre autres aspects, à la perte de sens dans différents types d’organisation (entreprises, institutions publiques…) et interroge l’action des citoyens face à cette absence de destin commun, de quête de sens collectif. En particulier, l’explosion de la gig economy (ex : Uber, Deliveroo…) comme une forme de néocapitalisme déconnecté, contribue selon lui à faire perdre l’idée d’entraide, ce qu’il appelle la montée de l’éthique de la non-coopération. Face à cela, que font les groupes humains pour trouver des solutions à cette incapacité à construire du collectif, du commun ?
Il donne quelques illustrations internationales de recherches menées au centre de recherche oce-emlyon, sur des actions collectives qui ont émergé dans des situations où tout collectif est mis en danger ou rejeté :
- Les bloggers de G. : en France, les cadres d’une grande entreprise d’assurance ont été licenciés, ont constitué une association, et se sont entraidés (écoute mutuelle, présence aux enterrements en cas de suicide, mutualisation des services et compétences juridiques) jusqu’au procès qu’ils ont remporté. Cet exemple suggère l’idée que le collectif se construit face à l’adversité.
- Une prison en Argentine : ce genre d’institution totale est basée sur le principe de séparer ceux qui s’entendent bien et qui pourraient agir ensemble. Mais un groupe de prisonniers a réussi à faire tolérer ses rituels d’interactions en constituant une équipe de rugby qui leur a permis d’aller jouer à l’extérieur (entrepreneuring), et un espace de prière collective sur un espace de la prison qu’ils se sont appropriés. Ils ont finalement obtenu le droit de vivre dans le même bloc. Cet exemple suggère qu’ils sont devenus d’autres personnes au travers de pratiques collectives qu’ils ont su négocier avec les autorités de la prison.
- Un village berbère : les habitants ce village situé dans un territoire très hostile d’un point de vue géo-climatique ont réussi à construire en espace de vie malgré l’adversité et remporté le concours du village berbère. Les habitants, par l’entraide, sont capables de reconstruire seuls un pont après des inondations, de créer et maintenir des pratiques festives régulières, et de créer des entreprises (tissage, …) : ils n’ont besoin d’aucune subvention ou aide de l’Etat central pour se constituer en communauté entrepreneuriale. C’est un exemple de coopération renforcée typique dans des cas de conflictualité avec l’Etat (dans ce cas arabe/national).
David Courpasson souhaite insister sur trois concepts :
- La communauté : qui peut passer soit par un lien de lieu (Ferdinand Tönnies : voisinage/atelier de l’artisan), soit par un lien du sang (type prison) avec le sentiment d’un destin commun (« on saura quand vous serez mort »), ou bien par un lien de l’esprit, d’amitié avec un projet commun : une envie de fabriquer un objet commun.
- La coopération renforcée (à l’inverse de la coopération faible) : l’idée d’être dans un lieu commun qui impose de fabriquer ensemble, « une diplomatie du quotidien »
- Le noyau éthique : éthique du sacrifice (ex : grève de la faim) : il faut accepter de se mettre en danger, de ne pas être à l’aise, de faire ce à quoi je ne connais rien. Cela peut parfois dériver en une éthique négative (ex : association pour faire du terrorisme, vol ou fabrication d’arme) à cela dépend de l’objet que l’on a envie de fabriquer ensemble et du point de vue de qui est légitime : on cherche à innover pour innover ou à créer de la richesse commune, de l’emploi par exemple ?
Eric Ghiglione : La contribution à Wikipédia représente pour lui une forme de loisir qui concurrence le travail. Il s’agit d’une association, décentralisée, ascendante. A Lyon, les Wikipédiens ont fini par se rencontrer régulièrement et par monter d’autres projets ensemble par exemple : un partenariat avec le Musée des Beaux-Arts, des évènements autour du dialecte lyonnais… Ils agissent dans l’éthique du logiciel libre et du bien commun : personne ne peut priver personne d’accès à Wikipédia. Ils effectuent un gros travail de sensibilisation autour en participants à des salons par exemple. Leur action est conduite de manière spontanée, par réseaux ou envie personnelle. Ils se lient à d’autres projets du territoire (ex : la Louve, Open street map, …) et multiplient des initiatives similaires dans le monde. Cet exemple montre que ce type d’initiatives qui semble très dématérialisée et numérique a des racines très profondes dans le territoire et dans la collaboration qu’il peut engendrer entre des individus concrets. Il distingue deux courants d’étude : Soit on s’intéresse à la façon dont les décisions se prennent (gouvernance) soit à la manière dont les gens travaillent, Eric tente d’allier les deux approches pour montrer la puissance d’une organisation qui combine les forces de la technologie avec les forces sociales de la camaraderie
Voici un extrait de son intervention lors du séminaire SmartCitizens et les réactions suscitées :
Suite à ce séminaire, David Courpasson et Eric Ghiglione ont participé à la formation des Entrepreneurs du Bien-Vivre de Crois/Sens en leurs enseignant des méthodes ethnographiques applicables à l’observation de terrains français. Une collaboration plus étroite est à l’étude sur laquelle nous reviendrons prochainement.
Références :
Courpasson David, Pour en finir avec le management impatient, hbrfrance.fr, 28/02/2018, https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2018/02/19327-finir-management-impatient/
Courpasson David. The Politics of Everyday.Organization Studies, learninghub.em-lyon.com, 38 (6), 2017, 843-859 p., https://learninghub.em-lyon.com/EXPLOITATION/doc/SYRACUSE/212459
Courpasson David, Beyond the Hidden/Public Resistance Divide: How Bloggers Defeated a Big Company.Organization Studies, learninghub.em-lyon.com, 38 (9), 2017, 1277-1302 p., https://learninghub.em-lyon.com/EXPLOITATION/doc/SYRACUSE/209590
Pour en savoir plus sur le séminaire SmartCitizens :
POULAIN Sebastien, « Interprétation de l’AMI « Territoires d’Innovation et de Grande Ambition » par Frédéric Gilli et Marc Desforges », crois-sens.org, 3 octobre 2018, https://crois-sens.org/2018/10/03/interpretation-de-lami-territoires-dinnovation-et-de-grande-ambition-par-frederic-gilli-et-marc-desforges/
MOREL Camille, « Ollivier Lenot de la Caisse des Dépôts explique les enjeux de l’AMI « Territoires d’Innovation et de Grande Ambition » », crois-sens.org, 24 septembre 2018, https://crois-sens.org/2018/09/24/ollivier-lenot-de-la-caisse-des-depots-explique-les-enjeux-de-lami-territoires-dinnovation-et-de-grande-ambition/
LENOT Olivier, DESFORGES Marc et GILLI Frédéric, « Interprétation de l’AMI « Territoires d’Innovation de Grande Ambition » (TIGA) », séminaire SmartCitizens du 15 juin 2017 https://youtu.be/23PP2ICEcj4
POULAIN Sebastien, « Introduction au séminaire SmartCitizens », crois-sens.org, 13 septembre 2018, https://crois-sens.org/2018/09/13/introduction-au-seminaire-smartcitizens/
David Courpasson, Em Lyon
Camille Morel, Crois/Sens
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